ans
l’après-midi du même jour le prince monta
à cheval pour aller visiter le camp de Mez-er-Ghin, situé
à trois lieues d’Oran, sur les bords du lac Salé.
On suit, pour s’y rendre, la rue de napoléon, qui
s’ouvre sur la campagne par la porte de Mascara. C’est
la voie militaire, à laquelle vient de se réunir
plus loin un chemin pratiqué immédiatement au
penchant du ravin, jusqu’à la source d’où
proviennent les eaux qui l’ont creusé, et celui-ci
offre une vue charmante. On y voit presque partout des eaux
vives jaillissant du milieu des rochers, des bouquets de palmiers
élancés, des jardins admirablement cultivés
par les Valenciens ou par les Maures, et remplis de grenadiers
énormes. Cette belle végétation ne se retrouve
qu’à la sortie de Ras-el-Aïn, où se
groupent avec grâce des massifs d’aloès géants,
couronnés de leurs élégantes girandoles
de fleurs.
La
route nouvelle est plus austère. A un quart de lieue
de la ville s’élève un blockhaus ou petit
fortin en bois, dont il faut traverser les fossés sur
un pont. L’aspect de ce chemin sauvage et presque nu n’est
égayé que par la feuille rude et sauvage des aloès
poudreux qui le bordent, et par la rare verdure de quelques
palmistes épars, dont la teinte pâle, encore obscurcie
par le sable dont les vents la couvrent incessamment, contraste
à peine et à de longs intervalles avec le fond
rouge et brûlé du sol. C’est parmi ces arbustes
malades et dégénérés, ornements
flétris d’une plaine stérile, que les sangliers,
les chacals, les porcs-épics, les délicates gazelles,
viennent chercher un refuge contre
les progrès du travail et de la culture. C’est
au milieu de cette poussière chaude, suffocante comme
les cendres d’un incendie, et qu’on respire avec
l’air, que les Arabes aiment goûter le plaisir laborieux
d’une chasse pénible et souvent périlleuse.
A l’horizon, la chaîne de l’Atlas élance
ses pics bleuâtres, et se découpe sur un ciel tout
chargé de ces vapeurs blondes et dorées qui accompagnent
quelquefois chez nous un beau coucher du soleil d’été.
C’est le chemin souvent parcouru par ces populations malheureuses
que le paresseux commerce établi entre les diverses tribus
pousse nonchalamment dans ces mornes solitudes ; ces nomades
trafiquants chargent leurs dromadaires, partent et se soumettent
aux plus rudes privations, pour un gain problématique,
trop heureux s’ils évitent la rencontre des vagabonds
arabes dont la singulière industrie exploite ces étranges
grands chemins !
Enfin, du sommet d’un éminence, on découvre
quatre ou cinq maisons blanches, deux ou trois groupes de cabanes
et quelques massifs de verdure qui annoncent Mez-er-Ghin, colonie
militaire établie depuis dix-huit mois au plus, et dont
les développements rapides promettent déjà
un bel avenir.
Le lac Salé, desséché par les ardeurs
de l’été, n’offre aujourd’hui
qu’une vaste nappe de sel efflorescent qui étincelle
au soleil, comme si la nature avait voulu donner à ces
contrées, dévorées par un ciel de feu,
quelque image de nos glaciers éternels. Ce plan argenté
d’un paysage africain, dont le sombre Atlas occupe le
fond, encadre merveilleusement les brillantes évolutions
du beau régiment des spahis commandés par l’intrépide
Yousouf, qui viennent exécuter devant le prince les
jeux belliqueux de la fantasia.
La
fantasia est un exercice arabe dont le nom franc ou italien
dément un peu l’origine, mais qui se ressent à
la fois de la barbarie numide et de la courtoisie mauresque.
Tous les cavaliers du peloton, détachés deux à
deux, viennent successivement, au galop, faire feu de leurs
armes sur la personne qu’ils veulent honorer, ou aux pieds
de son cheval. C’est l’acte d’une ancienne
liberté qui ne s’aliène pas tout entière,
qui se souvient qu’elle est armée, et qui ne se
soumet qu’au courage.
Dans ce spectacle, il faut le dire, Yousouf est à lui
seul un spectacle : sa jeunesse, sa beauté, le caractère
énergique et fier de sa physionomie attirent d’abord
les regards. A cette impression se rattachent d’ailleurs
plus de souvenirs saisissants qu’il ne compte d’années
: le mystère impénétrable de son enfance
; les chances aventureuses d’une captivité commencée
au berceau et terminée dans un sérail ; l’éclat
romanesque et tragique de ses amours, de ses haines, de ses
vengeances ; la renommée de sa force, de sa bravoure,
de ses grands faits d’armes, aussi nombreux que les batailles
auxquelles il a pris part, et dont on croirait le récit
emprunté aux chants du Romancero ou aux pages des chroniques.
Yousouf est une de ces figures chevaleresques qui inspireraient
les poètes aux siècles de poésie, une tradition
jeune et vivante du vieil Orient.
Les
environs du camp sont peuplés de Douares protégés
par les spahis. Leurs tentes, en poil de chameau noir, sont
attachés à des pieux fixés dans la terre,
ou suspendues par leur sommet aux branches les plus vigoureuses
des palmistes.
L’ouverture en est très basse et la tente elle-même
n’est pas assez élevée dans sa plus grande
hauteur pour qu’un homme puisse s’y tenir debout.
Les habitants de ces misérables demeures s’y glissent
en rampant par l’ouverture, et s’y accroupissent
en s’appuyant aux parois intérieures.
C’est là tout le domicile de l’Arabe ; mais
il est peu tenté de le changer contre un autre, parce
qu’il y vit libre et qu’il le transporte avec lui.
Le
retour de Mez-er-Ghin à Oran s’effectuait en trois
quarts d’heures, avant le coucher du soleil, à
travers les palmiers nains, sous une jolie brise de mer chargée
des parfums de tous les jardins qu’elle vient rafraîchir.
Les montagnes apparaissent au loin comme des blocs de bois
de campêche ou d’acajou, et, à mesure que
le soleil s’abaisse, la campagne passe par toutes les
nuances les plus chaudes du jaune, du cinabre et du brun.
La mer, parsemée de barques aux blanches voiles, ne
laisse pas apercevoir une seule ride. Oran se montre enfin,
avec ses terrasses garnies de femmes et de fleurs. La ville
est en habits de fête comme la nature. Quelques heures
encore, et tout ce tableau, éclairé d’un
autre jour, dormira, calme et charmant aux yeux, dans cette
lumière blanche et peu azurée de la lune, qui
donne tant de charme aux soirées des climats chauds.
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